Traversée de Santa Cruz, Galapagos aux Marquises, Fatu Hiva, la baie des vierges
Soit 3’050 milles, plus de 5’650 kilomètres….ouah!

Première nuit
Nuit du jeudi 22 au vendredi 23 février
Partis ce matin à 8 heures 20 de Santa Cruz


Position à minuit: 1°58’86 S – 91°27’13 W 100,7 milles au compteur
Position à 4 heures: 2°17’42 S – 91°44’05 W
Soit 25 milles de parcouru…de gagné

Comment imaginer courir autant de kilomètres à pas de tortue?
Comment imaginer rester confinés dans un univers restreint pendant ??? jours?
Comment imaginer notre corps en “mouvement” 24/24 heures pendant autant de temps?
Comment imaginer ….

Ben, vaut mieux … ne pas se l’imaginer….
Selon l’échelle de la carte…notre parcours ne représente que 10 centimètres d’eau en ligne droite!
Ce n’est rien!
Bon, avec des valeurs respectables, plus de 2’000 , voir 3’000 mètres d’eau au-dessous de nos coques!
Ça, cela ne change en rien notre confort ou notre inconfort!

Ce qui me perturbe, c’est la première fois que les nombres dépassent autant la centaine!
2’960 milles ! Énorme !
Plus de 5’000 kilomètres ! Ouah!
Ce qui est étrange, c’est que notre cap, au sud, nous mène à l’île de Pâques !
Tout ça pour aller chercher les alizés sud qui nous éviteront le bruit du moteur et nous pousseront jusqu’aux Marquises!

Au lieu de compter….
Alors, regarde, regarde un peu la nuit superbe!
Des milliards d’étoiles…encore des nombres inimaginables!
Magnifique le ciel! La Lune s’est couchée à mon lever et elle laisse un grand disque noir sombre. Viramundo y grave deux sillons lumineux, phosphorescents à son passage. Ses coques titillent l’eau et son plancton, juste assez pour éclairer l’arrière. Viramundo dessine notre route à sa poupe.
A sa proue, en revanche, il progresse dans le noir de chez noir !
Les étraves fendent l'”épaisseur” de l’eau avec un balancement régulier.
Et au-dessus de nous, les stars de la nuit profitent de l’absence de Lune, elles brillent intensément et dessinent leurs constellations avec un piqué net et précis. On passe au-dessous d’une voûte éclairée. L’horizon, lui, se fond avec l’océan, tout est sombre au niveau de l’eau.

Courage les marins d’eau douce, ne gambergez pas trop!
Qu’est-ce que ces quelques jours, ces quelques nuits à venir représentent dans une vie?
Sinon quelques heures de réflexion, quelques instants de plaisirs, de stress…et, simplement, quelques moments de VIE ….près des étoiles.

Deuxième nuit
Nuit du vendredi 23 au samedi 24 février


Position à minuit : 3° 41’93 S – 92°51’13 W 238 milles au compteur
Position à 4 heures : 3°58’60 S – 91°49′ 4 W
Soit 25 milles de parcouru

Ce soir, c’est moins rose.
Viramundo cabriole comme jamais! Toujours pas dans les alizés!
Il remonte la houle et il traverse les vagues comme il aime, alors il saute, il se tord, il prend des claques d’eau, il plonge, il redémarre avec sa fougue habituelle.
Et nous là dedans ?
On fait ce que l’on peut ….on le suit, mais on se cramponne, on se déplace comme des handicapés…on utilise tout ce qui est fixe pour s’agripper.
Mais au moins, il y a du vent stabilisé…dans la bonne direction…et on avance.
Encore plus de 2’600 milles à courir…ou plutôt à sauter!
J’ai l’impression que l’on n’arrivera plus à marcher normalement en arrivant à terre!
Cette nuit n’est donc pas propice à observer sereinement les étoiles, d’ailleurs, les nuages les cachent bien. Quant à la Lune…on l’a à peine vue, elle se tient derrière les brumes et elle ne va pas tarder à se coucher…bye,bye la Lune…j’espère à demain, même heure!
Eh voilà, c’est le pire et le meilleur!
Quoique, il y a des gradations dans le pire comme dans le meilleur!
En mer, une situation agréable, beau temps, belle mer, bon vent, peut virer en un rien de temps en une situation pénible, remuante….et, en général, entraîner d’autres mauvaises surprises.
Les bons moments sont à saisir, à savourer et à déguster….comme à terre d’ailleurs !
Seulement, sur notre radeau à des milles de tous humains, de toutes terres, ce constat paraît plus évident!
Forcément, notre bien-être immédiat ne dépend que de la situation présente. On est beaucoup plus à l’écoute de tout ce qui nous porte et ce qui nous entoure. Les bruits sont des signaux d’alarme. Chaque variation signifie un état différent, un réglage à effectuer, un changement de temps…etc.
Il est une heure et demie du matin et voici l’ambiance extérieure.
C’est le trou noir obscur, aucune étoile visible, l’eau noire mousse autour de nous, des coups de pétards sonnent dans les coques, les chevauchées de Viramundo font craquer la menuiserie intérieure…et pour couronner le tableau….un cliquetis soudain sur tribord …quand je vais voir dehors ce que c’est…une forte odeur de poissons me saisit les narines!
Deux petits poissons volants ont atterri malencontreusement sur le pont, s’agitent et trépassent rapidement…pas de chance! C’est tellement immense cet Océan! Et 3’546 mètres de profondeur !
On est tout petit….
Cette nuit, c’est franchement moins rose.

Troisième nuit
Nuit du samedi 24 février au dimanche 25 février


Position à minuit: 5°18’76 S – 95 °30’25 W 420 milles au compteur
Position à 4 heures: 5°30’31 S – 95°57’35 W
Soit 29 milles de parcouru

420 milles de couru….sur 2’960 à courir!
Avec ces chiffres, j’ai comme l’impression que l’on n’avance pas!
Et pourtant! On les a, ces alizés du Sud! Et Viramundo y prend son pied !
Il fonce à travers les flots comme jamais!
Le tableau extérieur de cette nuit est superbe. Une Lune qui éclaire presque autant que le soleil, qui laisse poindre quelques étoiles dans un ciel avec juste deux ou trois minuscules nuages cotonneux. Et le bruissement de l’écume est ponctué de temps en temps par des splashs contre la coque. Tout est sec sur le pont, aucune humidité ne vient poisser le matériel. La mer encore bien agitée s’est radoucie…
Et alors, pourquoi cette espèce de trouble bizarre qui m’envahit ?
Comme un noeud au ventre, des interrogations….
Je prends conscience de notre fragilité au milieu de ce nulle part.
Aucune terre, aucun continent n’est dessiné sur la carte devant notre route, seulement des traits bleus sinueux qui indiquent des sondes abyssales. Il faut vraiment chercher ces îles marquisiennes tracées si discrètement à l’autre bout de l’écran …nous avançons dans l’immensité. C’est déstabilisant! C’est vide…
Bizarre de ressentir cela dans cette magnifique nuit!
Comme un sentiment de précarité face à cette nature tolérante pour le moment…mais jusqu’à quand?
Viramundo est costaud, mais, dans tes galipettes, tiens le coup, mon vieux!
On a besoin de toi!
Et nous?
Ben, on s’accroche au sens propre et au sens figuré!
Ne pas se laisser envahir par le vide…paradoxale cette image!
Comment le RIEN peut-il prendre autant de place?
Quelle question!
Dehors, c’est absolument magnifique! La Lune s’apprête à aller se coucher.
Et ce n’est pas RIEN! Orangée, elle s’éteint gentiment, avant de glisser derrière l’horizon vraiment sans se presser. Elle joue encore un peu à cache-cache derrière un filet de nuages.
Merci d’avoir été là … pour nous!
Assister au coucher de Madame la Lune, quelle aubaine et quelle merveille!
Même le vent s’est calmé pour accompagner ce moment.
Aie! Si l’alizé s’arrêtait de souffler…que deviendrions-nous dans cet espace incommensurable?…remarque le Captain….rassurant….
Qui parlait de vide?

Quatrième nuit
Nuit du dimanche 25 au lundi 26 février


Position à minuit: 6°37’12 S – 97°51’69 W 582 milles au compteur
Position à 4 heures: 6°52’27 S – 98°17’13 W
Soit 29 milles de parcouru …comme hier….

A coup d’une centaine de milles, on gagne de la mer.
Ce soir, on progresse dans une ambiance marine et musclée. Le vent de 15 à 18 noeuds de travers booste Viramundo et l’encourage à tracer sa route tumultueusement dans la vague. Le ciel est complètement dégagé et Madame la Lune grossit encore et prend la place sur les étoiles. Avec la vitesse du bateau, les sillages sont de véritables machines à laver, cela mousse et c’est bruyant. Du coup, l’hydrogénerateur, dit “le pleurnicheur”, porte bien son nom et il en rajoute, il se lance dans de longues plaintes. Ses gémissements apportent la note lugubre de notre solitude.
Ben oui! Sur ce grand disque noir ondulant, pas âme qui vive!
À part les rares poissons volants qui terminent leur vie sur le pont, l’océan semble bien désert autant dessus que dessous…
Bon, si loin des côtes, on ne s’attend pas à rencontrer une foule de personnes, mais quand même !
Croiser un cargo de temps en temps, passer un pêcheur, voir jouer quelques dauphins, chasser les volatiles qui crottent le pont…c’est chouette!
Et là, rien de tout ça!
Quel contraste avec la place principale de Puerto Ayora, île de Santa Cruz, où tous les habitants viennent le soir encourager les hommes joueurs de volley!
Une foule de villageois les regardent jouer sous les projecteurs en commentant les actions. Certains dégustent des glaces, les femmes entre elles papotent sur les bancs publics, les gamins jouent sur les jeux du parc en criant …tout cela dans une atmosphère chaleureuse et conviviale!
Comme un réel besoin de se retrouver tous ensemble un moment le soir quand la température est plus douce!
Lorsque j’observais ces îliens heureux, il y a à peine cinq jours, je savais qu’à un moment donné, en mer, j’aurais besoin de me raccrocher à leur image, de repasser ce film de vie, de réécouter les bruits du village, de sentir les odeurs terrestres.
C’est ça aussi le voyage par bateau!
À chaque escale, savourer la vie des gens, emmagasiner les sourires rencontrés, observer les mœurs de l’endroit….pour s’en nourrir à l’envi loin de la terre.
Et, dans cette nuit océanique, Puerto Ayora m’a accompagnée pendant ces quelques milles ….sous l’éclairage de Madame la Lune …un partage en somme!

Cinquième nuit
Nuit du lundi 26 au mardi 27 février


Position à minuit: 7°51’77 S – 100° 28′ 24 W 754 milles au compteur
Position à 4 heures: 8°03’63 S – 100°53’37 W
Soit 27,5 milles de parcouru

Ah, les petits plaisirs de la nuit, plus précisément de la minuit!
Ça commence avec le clic de l’ouverture de la canette bien fraîche de coca light, le pschitt qui suit …ouah, la paille dans le trou, et la première gorgée fait un bien fou. Pétillant à souhait, le liquide rafraichissant est savoureux et savouré….sans compter qu’il va me permettre de tenir éveillée pendant les quatre prochaines heures…pas rien!
Ça continue par la recherche d’une autre petite douceur! Cela peut être des fruits secs. Hum, délicieux le mélange randonnée de la Migros, denrée rare et précieuse, évidemment ! Ou alors, une barre de céréales de Panama cette fois, c’est pas mal non plus, même si cela n’a rien à voir avec les “Farmer” de la Migros.
La deuxième heure de veille est plus végétale.
Croquer dans un fruit en regardant les étoiles, mâcher le plus lentement possible, penser à là d’où vient ce fruit, puis jeter le trognon de pomme ou de poire par dessus bord….quel bonheur!
Là, au milieu de nulle part, dans un confort tout relatif, dieu que c’est bon!
Tout prend des proportions divines!
Le ventre satisfait, penser à la tête…la troisième heure est plus cérébrale. Je me plonge dans mes cahiers de mots croisés et ça…cela me tient drôlement réveillée, surtout en me lançant de modestes défis …réussir une grille en très peu de temps, ne pas regarder les réponses avant de les avoir trouvées toute seule…quand on a sommeil, ça se complique!
La lecture, elle, a tendance à me faire dormir…pas toujours bon dans ces circonstances!
Un autre vrai bonheur de la nuit….à tous moments du quart, penser à nos petits enfants, à tout ce que l’on fera avec eux au retour sur terre, inventer des histoires à leur raconter….comment réagiraient-ils s’ils nous voyaient vivre ainsi?….”mais qu’est-ce que tu fais là, Mamy?”
Arrive la dernière heure du quart consacrée au physique….
Ce sont quelques exercices de gym exécutés dans le cockpit, cramponnée à la table ou ailleurs, des respirations en contemplant l’environnement….avec courage et volonté …pas facile de se “secouer les puces”.
Ainsi passe le temps de minuit à quatre heures……mes petits plaisirs!
Cela paraît récréatif tout ça!
Pourtant, ce n’est pas toujours si simple, pas toujours possible!
Imaginez être dans une nacelle suspendue que l’on secouerait, remuerait irrégulièrement, sans vous avertir, exprès pour vous faire tomber…assis sur un tabouret ou debout…le corps toujours en mouvement essayant de compenser les pertes d’équilibre…
Et, en plus, malgré cet inconfort, naviguer, c’est-à-dire surveiller le vent et les rencontres possibles…trop rares, là au milieu…, régler les voiles, noter les points de notre route toutes les heures rondes….ce sont des habitudes…
Oh la, la!
Qu’il est bon de s’accorder des petits plaisirs!
C’est fou comme un geste insignifiant à terre, comme une saveur oubliée, comme une simple action banale …peuvent prendre tant d’importance dans ce cocon en suspension au milieu des eaux!

Sixième nuit
Nuit du mardi 27 février au mercredi 28 février


Position à minuit: 8°56’22 S – 103°24’58 W 941 milles au compteur
Position à quatre heures: 9°05’34 S – 103°55’15 W
Soit 29,5 milles de parcouru
A 4 heures 04 30 milles de parcouru

Se lever à 23 heures 45, se recoucher à 4 heures du matin…question d’habitude!
Pas si difficile que ça! La routine!
Il suffit de mettre la machine en route et ça roule.
Ça roule…. tant qu’il n’y a pas de grains de sable dans les rouages.
Et ça! C’est l’angoisse, ici! Casser la routine!
Nous ne dépendons que de nous…..
Le médecin ou le mécano les plus proches sont à…962 milles!!!
On a intérêt à faire attention à chaque instant à ce que notre machine biologique fonctionne et à ce que notre machine flottante flotte au mieux et au plus vite.
Nos journées et nos nuits sont consacrées à cela, ici, dans notre cocon ou sur le pont……et le temps passe hyper vite dans cette routine.
Viramundo, notre monture, précieuse, est l’objet de toute notre attention et il en demande de l’attention. Comme rien n’est constant, on a intérêt à bien surveiller le vent.
Justement, la force du vent….ça, ce n’est pas la routine, le vrai grain de sable!
Il forcit, réduire la toile, il faiblit, en remettre…
Une voile mal réglée et cela peut être la cause d’une pièce qui se casse, d’un bout qui s’emmêle et les problèmes s’enchaînent….
Alors, il est bichonné notre Viramundo…lui épargner autant que possible les mauvaises manœuvres…le grain de sable.
Observer, anticiper, agir….la routine!
Avec tout ça, s’occuper de nous, les marins d’eau de mer….reste essentiel !
Notre toilette quotidienne…la routine, quoi….pourtant cela peut être une partie d’équilibrisme rigolote ou non…tenir le pommeau de douche, se frotter avec le savon bien glissant, garder son équilibre au risque de s’aplatir contre les parois, s’essuyer en se tenant sans casser quelque chose, nettoyer l’endroit après son passage pour le suivant…bon, sacré bien-être quand c’est fait!
A soigner nos estomacs, par exemple…la routine…
Fabriquer son pain quotidien… quelle énergie à déployer….
D’abord, réunir les ingrédients bien rangés dans peu d’espace…chaque chose a sa place, chaque place a sa chose….mesurer la farine sur cet océan jamais stable sans qu’elle ne vole partout, pétrir la matière, oui, mais quand on a les mains collantes de farine et qu’il faut s’en dépêtrer en pensant à ne pas salir trop la cuisine, à retenir le bol qui peut aller valser par terre à la moindre secousse, à surveiller quand même les cabrioles de Viramundo …..
assez acrobatique parfois…elle est où la boulangerie la plus proche?
La fabrication du pain….la routine…et grain de farine!
Ben, c’est la routine qui scande notre vie à bord, qui marque les repères temporels et spaciaux, finalement … qui nous stabilise!
Et voilà un quart qui se termine sous une Lune magnifique….sans grain de sable, c’est bon!
Au diable, les grains de sable!
Vive la routine!

Septième nuit
Nuit du mercredi 28 février au jeudi 1er mars


Position à minuit: 9°34’14 S – 105°55’19 W 1’090 milles au compteur
Position à 4 heures: 9°29’56 S – 106°13’72 W
Soit 25 milles de parcouru

Nous voilà au tiers de la distance à courir!
Encore deux fois comme cela!
Ce qui signifie …encore au moins 14 nuits à veiller….si tout va bien!
C’est long, c’est immense ce Pacifique!
Quels états d’âme encore à traverser? Quelle trouille à venir? Quel bonheur à vivre?
En fait, dans cette histoire, il y a des “j’aime pas “et des ” j’aime” !
En ce moment, un “j’aime pas ” me tracasse. Viramundo avance vent portant avec le gennaker, cette voile légère et fragile. Des nuages un peu plus cotonneux et noirs créent du vent qui pourrait devenir insupportable à cette voile. Toute seule, c’est vraiment difficile de la réduire correctement, alors je suis attentive et, si je dois réveiller le Captain pour effectuer la manoeuvre….je n’aime pas, mais pas du tout cela!
Dans la série des “j’aime pas”, à cause du vent un peu trop portant, le gennaker et la grand voile donnent par moment des à-coups et ébranlent tout le bateau et les haubans en faisant des bruits de ferraille inquiétants sans compter que la Grand Voile risque d’empanner (changer de bord, freiner le bateau et faire de la casse) si le vent devient vraiment trop arrière….
Mes yeux guettent le compteur, mon ventre se contracte, je fais le tour du cockpit, je prie le ciel qui dégage ces nuages….le vent varie, faiblit…c’est pire du coup, Viramundo avance en boitant….je n’aime pas!
Les nuages se sont désagrégés, l’allure s’est stabilisée au bon cap…j’aime!
La houle, décrite comme haute de deux mètres dans les prévisions du routeur, arrive par l’arrière et pousse Viramundo qui, en se tordant de plaisir, surfe sur l’eau… J’aime regarder ce mur d’eau pétillante à la poupe qui passe sous les coques! Ça mousse, ça écume et ça sent le iode!
J’aime pas quand Viramundo se tortille de trop, on dirait qu’il roule dans un champ de bosses…assise, je sens mon corps aussi se tortillonner dans tous les sens…fatiguant!
Je scrute très régulièrement l’horizon pour voir s’il y a d’autres marins qui naviguent près de nous….j’aime!…ou plutôt, j’aimerais…
Depuis notre départ des Galapagos, nous n’avons plus croisé ou revu un seul bateau, pas le moindre cargo…j’aime pas!

J’aime l’éclairage de cette nuit. La Lune arrive dans sa plénitude, elle est vraiment belle et puissante. Hier soir, le Soleil nous a offert un magnifique coucher quand déjà la Lune se levait à l’opposé dans un ciel bleu azur superbe….j’aime!
Le téléphone satellite bipe. Je lis le message, des nouvelles de Suisse. Il a neigé 20 centimètres de neige et l’aéroport est fermé….égoïstement, j’aime.
Mais je pense bien fort à ceux pour qui cette météo complique les déplacements…j’aime pas.
Justement, nos enfants régulièrement nous encouragent avec tendresse dans notre folle aventure…j’aime…merci!
La culpabilité d’être loin d’eux, le manque de nos petits….je n’aime pas du tout!
Des vagues de côté viennent frapper les coques violemment…j’aime pas, détestable et effrayant!

À travers tous ces “j’aime” et ces ” j’aime pas” , le temps passe et il y a un “j’aime” que j’aime particulièrement, c’est, en général , entre 4 heures 15 et 4 heures 30 du matin, le moment où je me remets dans ma couchette pour terminer la nuit….ouah! Quel plaisir intense!
J’adore.

Huitième nuit
Nuit du jeudi 1 er mars au vendredi 2 mars


Position à minuit: 9°59’95 S – 108°23’32 W 1’243 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°07’01 S – 108°47’90 W
Soit 25 milles de parcouru


Étrange sensation ce réveil …marqueur du temps!
Au moment de la sonnerie, j’étais plongée dans un rêve dans lequel beaucoup de monde interagissait. Il m’a fallu quelques secondes pour “mettre les pieds sur terre”… façon de parler…et réaliser que mon univers était toujours ce drôle de petit milieu dans lequel on vit depuis plus d’une semaine…
Une bulle flottante et dérivante au gré du vent, au gré du temps!
La perception du temps qui passe est directement liée à ce milieu…ou plutôt à ces milieux…
Il y a l’intérieur de Viramundo, notre bulle.
Là, les journées passent à toute allure.
Elles sont rythmées par les besoins…toilette, repas, boulangerie, lecture, musique, et bien occupées par les tâches….navigation, veille, énergie, fabrication de l’eau, du pain, dessalage du pont…etc.
Et, à moins d’un os, cette organisation de vie se répète ainsi à peu près quotidiennement aux mêmes heures! Comme tout prend plus de temps avec peut-être encore plus de minutie qu’à terre, les heures se succèdent sans que l’on s’en aperçoive. Pris dans toutes ces activités de nécessité ou de loisirs, dans notre bulle, c’est comme à la maison! Ou presque!
Les journées et les nuits défilent ….déjà huit jours de mer!
Huit jours de solitude…de plénitude … à deux!
Ainsi, on s’active, on se repose, on réfléchit … et ça passe…

Et il y a l’extérieur de Viramundo.
Là, ça “freine”!
Inscrire le parcours de Viramundo sur les cartes, compter les milles parcourus, compter les milles restants…les chiffres ont beau défilé , cela ne va pas assez vite!
Bon, sur le trajet, nous gagnons chaque jour quelques centimètres. Le total des milles s’affiche sur le GPS que nous scrutons sans arrêt, alors il suffit de patience, de beaucoup de patience…..chaque millimètre est une petite victoire, chaque tour de compteur est un gain supplémentaire !
De la patience…il en faut!
De la zenitude même!
Le plus étonnant, c’est l’environnement extérieur qui donne cette impression de lenteur! Le temps semble figé. Rien ne change. Le temps s’arrête….
Tout autour de Viramundo, le grand disque d’eau a la même dimension. Nous sommes toujours à flotter au centre de ce cercle où que l’on soit sur la carte.
Pourtant, l’océan montre tellement de visages différents, il prend toutes sortes de couleurs et d’aspects selon ses humeurs. Le ciel, de jour comme de nuit, offre une variation incroyable de tableaux.
Et c’est toujours superbe et fort de pouvoir vivre ce décor unique !
Cette nuit, la pleine Lune sur l’océan houleux donne une lumière magique. Le bleu sombre du ciel tacheté de bouts de coton nuageux se montre plus mat que l’eau scintillante sous toute cette lumière céleste …magnifique! On ne s’en lasse pas!
Alors, d’où vient ce sentiment que le temps s’arrête devant ce paysage impermanent?
Je n’ai pas vraiment de réponse. Et je ne la cherche pas, car, du coup, c’est super bien, on ne vieillit plus…
On est…tout simplement!

Neuvième nuit
Nuit du vendredi 2 mars au samedi 3 mars


Position à minuit: 10°13’13 S – 111°01’36 W 1401 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°15’56 S – 111°26’89 W
Soit 25 milles de parcouru

Oh, la, la, je crois que la canette de coca ne va pas me suffire pour veiller!
Le lever a été plus difficile que d’habitude, froid et fatigue!
Pour quelqu’un qui a besoin de ses huit heures de sommeil par nuit, ce rythme n’est pas évident.
Hier soir, à 20 heures 45, je gagne ma couchette et je me suis endormie avec peine….pas de chance, le Captain est venu me chercher pour rouler le gennaker! Le vent est devenu trop fort….la manœuvre réussie….je replonge dans mes rêves jusqu’à 23 heures 45!
C’est trop, trop, trop court!
A 4 heures et des poussières, je pourrai récupérer quelques heures de plus.
En attendant, garde bien les yeux ouverts, marin de la nuit, et oublie ton corps fourbu!
Évidemment, c’est justement quand on en a moins envie que le vent montre sa force…..heureusement que le gennaker a été roulé …
Avec plus de 22 noeuds vent arrière, nous filons à une vitesse supérieure à 7 noeuds dans les à-coups de la brise avec seulement la grande voile à un ris !
Viramundo s’en donne à cœur joie, il surfe sur la crête des vagues qui arrivent par derrière et qui passent bruyamment sous les coques en moussant bien fort. On ressent toute la puissance de l’eau qui parvient à soulever tellement facilement les tonnes que l’on transporte!
Une vraie coque de noix, le jouet de l’eau!
Sous la lumière de la Lune, les vagues qui se brisent forment des moutons. À la poupe, je vois un champ noir parsemé de bestiaux blancs…sauf que, cette nuit, c’est moins paisible qu’un pâturage…..les secousses et l’agitation de Viramundo nous bousculent sans état d’âme!
Si au moins, le vent pouvait stabiliser sa force et sa direction! Il n’arrête pas d’osciller et cela m’oblige à renforcer ma vigilance. Il faut absolument éviter l’empannage de la grande voile. Et ce n’est pas facile de garder un cap acceptable avec ces variations…..
En plus, il fait frais.
On est loin de la chaleur moite du Panama.
Bon, il n’y a aucune humidité à l’extérieur. Pourtant, le pantalon long, il est vrai qu’il est léger, le sweet shirt, et la veste coupe-vent ne sont pas de trop!
Et les thermomètres indiquent l’un 26,4 degrés, l’autre 27 degrés à l’intérieur …qui faut-il croire des thermomètres ou mon ressenti?
Bref, cela doit être une question de fatigue!
“Tiens bon la vague et tiens bon le vent….” chante un certain Hughes Aufray.
Et tiens bon tout court!
“Hisse et ho…” Viramundo!
Laisse-nous faire dodo….
Merci tout de même Madame la Lune pour ton éclairage !

Dixième nuit
Nuit du samedi 3 mars au dimanche 4 mars


Position à minuit: 10°24’32 S – 113°43’70 W 1’562 milles au compteur
Reste environ 1’500 milles
Position à 4 heures: 10°27’73 S – 114°10’18 W
Soit 26 milles de parcouru

Ouah, nous sommes à mi-chemin!
La moitié de couru! Youpie!
Arrivés dans la deuxième moitié du parcours, le décompte des milles est moralement plus réjouissant….quoique, il le sera vraiment encore plus, quand nous serons en dessous de ces chiffres qui indiquent les milliers, soit moins de 1’000 milles!
En parlant “chiffre”, quelque chose m’impressionne…
Nous notons presque à chaque heure notre position. Elle est composée de la latitude et de la longitude et elle se lit sur le fameux GPS. Le compteur tourne inlassablement, et, invariablement, il indique des degrés, des minutes et des secondes.
Eh bien, jamais, jamais nous y avons vu les mêmes valeurs!
Dans notre livre de bord, nous y avons inscrit des milliers de chiffres, des centaines de positions! Et jamais la même position!
Évidemment, le propre de la navigation, c’est de bouger, c’est tout bête!
Mais, avec seulement dix chiffres, de 0 à 9, c’est absolument remarquable les infinies possibilités d’inscrire un point précis!
Là, en ce moment, la position exacte de Viramundo est, en latitude S, au 10°24’845ouah, pas le temps de l’écrire que c’est déjà une autre valeur! En longitude, nous sommes au 113°43’328…..356 … W…là, le compteur accélère davantage, puisqu’on gagne plus rapidement à l’ouest, et nous descendons moins au sud !
Bref, impossible de stopper le défilé des chiffres!
Je suis là, toujours assise à la table à cartes, mais jamais au même endroit !
Et pour quelqu’un qui n’aime pas trop les chiffres, je suis fascinée par cette impermanence et la multitude de combinaisons possibles.
Un autre instrument obnubilant…l’anémomètre ! Lui, il indique la force du vent et l’angle sous lequel celui-ci prend dans les voiles. Et, en ce moment, avec notre allure très portante, il m’agace terriblement… Le génois porte correctement quand le vent est au-dessus de 18 noeuds, sinon il dévente et l’écoute frappe violemment le roof en faisant des pétards effrayants. La solution est de se rapprocher du vent, seulement, le cap devient mauvais….alors, il faut sans cesse régler le pilote automatique pour ajuster au mieux le cap selon le vent.
Cela serait tellement plus simple si le vent pouvait rester plus constant dans sa force et arrêter de faire osciller le compteur! Une vraie girouette !
La tête pleine de chiffres et les yeux carrés à force de regarder ces écrans, cela fait du bien de sortir et regarder la rondeur de Madame la Lune qui n’a perdu qu’un mini peu de sa plénitude. Elle est malheureusement en train de décroître.
Profitons- en! Là aussi, il y a de l’impermanence dans l’air!

Onzième nuit
Nuit du dimanche 4 mars au lundi 5 mars


Position à minuit: 10°22’10 S – 116°04’90 W 1’702 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°20’72 S – 116°29’72 W
Soit 25 milles de parcouru

…et toujours personne!
Onze jours et onze nuits sur l’eau! Et vu aucune trace d’humain !
Aucun bateau à notre horizon! Même pas une voix à la radio! Rien!
C’est fou !
Pourtant, je veille, je regarde régulièrement …si jamais….
Ces dernières nuits, l’exercice est facile avec cette Lune qui remplace le Soleil!
De toute façon, c’est un réflexe, balayer du regard le “bout de l’eau” ….la quête de la rencontre…en vain!
Quelle force de caractère ces marins qui naviguent en solitaire pendant des semaines, autour du globe!
Gérer tout seul les problèmes liés à la navigation, c’est une chose déjà pas facile du tout!
Mais, tout simplement, pouvoir parler avec quelqu’un , exprimer ses joies, ses craintes, ses doutes, discuter des choix à faire, des menus à préparer, du livre lu, se raconter son quart … C’est chouette!
Sans compagnie, on doit finir par se parler à voix haute…ou dialoguer avec un personnage fictif!
Communiquer avec son bateau…ça oui!
Mais c’est tellement bon de partager des moments à deux dans ce monde ….inhumain!
Inhumain…peut-être, pourtant, cette nuit est absolument splendide!
Le ciel a son bleu soutenu, ses piqués d’étoiles, sa pleine Lune rognée, lumineuse à souhait. L’océan diffuse une odeur sucrée chaude….comme si une tarte sortait du four…La houle qui nous pousse envoie brillamment et bruyamment des vagues par dessous les coques. Viramundo en rugit de plaisir et se tortille comme un ver.
C’est serein …à part le claquement sporadique des voiles et les vibrations que cela entraîne !
C’est beau!
Inhumain tout de même!
Malgré le confort tout relatif de notre univers “catamaran”, il y a des envies de marcher dans une forêt, de descendre un sentier pierreux, de courir dans l’herbe bien verte, de respirer l’humus, de sentir la terre ferme, de croiser un promeneur….juste l’espace d’un instant…

Et le plus fort…il est certain que, dans quelques semaines, au jardin, je repenserai à tous ces moments extraordinaires de mer, de solitude, à ces instants forts de communion avec ce monde particulier, inhospitalier, seulement tolérant , à ces ciels magnifiques, uniques…
Justement… pour m’échapper du monde des humains….
Alors c’est le moment d’emmagasiner toutes ces belles images de mer, de ressentir toutes ces émotions incroyables et de vivre pleinement cette immense traversée !
Ça roule! Ça fonce!

Zut, dehors, l’image sereine de tout à l’heure a évolué.
Le ciel s’est assombri, le vent a forci, la pression dans le gréement a augmenté et moi, je suis tendue….les yeux rivés sur mes écrans, je surveille attentivement le cap et je reste à l’écoute des bruits anormaux …
Avec la variabilité des humeurs du vent, les voiles en ciseaux réagissent sans attendre….à moi, d’y répondre aussi vite en commandant le pilote!
Stress de nuit….toute seule aux commandes….encore quelques minutes…
Le Captain me rassurera dès mon quart fini.
C’est bon d’être à deux.


Douzième nuit
Nuit du lundi 5 mars au mardi 6 mars


Position à minuit: 10°13’16 S – 118°49’58 W 1’865 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°14’86 S – 118°18’52 W
Soit 29 milles de parcouru….ça fonce

« La ruée vers le coca » – « Le zombie de minuit » – « Une nuit de plus! » –
« L’enfer, c’est le bruit » – « Le bateau ivre » – « Quelle galère!(…mot du Captain, en me voyant à 23 heures 55)

Quel titre choisir à mon histoire de la douzième nuit?
Il y a le choix!
Forme physique…pas facile au réveil…endormie tardivement, sommeil profond et paf, sonnerie de la “harpe” dans l’oreille.
Tout de suite, le glouglou de l’eau qui passe sous la coque se transforme en un bruit de machine à laver puissante….Viramundo doit foncer…
Au moment de poser le pied à terre, les balancements brusques du bateau me renversent de gauche et de droite….pas encore vraiment réveillée…
Une soif terrible me pousse à grimper jusqu’au frigo, je n’écoute pas les indications du Captain, je me rue sur la bouteille de coca….il est bon le pschitt du gaz!
Viramundo a son allure tendue, trémoussante, le tangage sonorisé par la lessiveuse des coques….il y a assurément du vent…pas besoin de regarder l’anémomètre pour savoir à quoi va ressembler le quart!
Première ronde dans le cockpit…belle Lune…la mousse de la houle combinée avec les vagues confirment mon sentiment du lever ….
Cette nuit, il y a de l’ambiance.
Je peux enfin écouter le compte-rendu du Captain…pas vraiment de surprise!
Il n’y a plus qu’à vivre son quart!
Les bruits assommants de l’eau qui mousse, puis qui vient se fracasser contre les coques, les mouvements de balancements plus ou moins violents, mais toujours saccadés de notre monture ….voilà les composantes obsédantes de cette douzième nuit.
Le vent arrière varie de 19 à 25, voire 26 noeuds, il agite bien assez la mer pour compliquer nos déplacements à bord et nous assommer avec ce boucan continuel de l’eau.
Oh, la, la…pour le moment rien d’harmonieux !
Un répit momentané de l’alizé, Viramundo se calme légèrement. Voilà mes idées s’éclaircissent enfin. Il en a fallu du temps à mon esprit pour émerger!
Et encore….allez savoir pourquoi! Cette nuit, ma tête est pleine de bruits infernaux!
La machine à laver de la poupe produit continuellement sa mousse avec des variations crescendo, puis decrescendo. Suit le glissement de cette masse aqueuse qui résonne en passant sous les coques. Accompagné régulièrement par une vague moins disciplinée qui vient s’aplatir contre Viramundo et, dans un fracas, fait résonner la fibre de la coque. Et, du coup, un hauban lui répond en émettant une vibration en trémolo. Et hop! Le deuxième mouvement de cette cacophonie peut repartir. Cette fois, avec les percussions, la structure des cloisons intérieures, cliquettent ou grincent en tempo selon les tortillements de Viramundo. En réponse à un assaut d’Eole, la vaisselle achève le mouvement dans un son cristallin accompagné du vibrato des ustensiles….
Quel boucan!
Je ne résiste plus, je mets mon casque, j’écoute Vianney…”Le galopin”…
Contraste…
Quelle douceur, quelle rondeur, quel bonheur…..

“….il faut dire que le dire n’aide pas.
Si l’on pensait à rien, le temps d’un galopin…
parfois penser peu, c’est bien, mais se dire qu’on est bien…c’est mieux!
….regarder les étoiles et nous sentir humain, se dire on est que dal…oh , rien!
On fera comme on peut, on aura des gamins….s’inquiéter un peu, c’est bien, mais se dire qu’on est bien…c’est mieux!”

Eh, voilà! C’est mieux, c’est beaucoup mieux!
Je retourne aux bruits … apaisée…c’est bien!

Treizième nuit
Nuit du mardi 6 mars au mercredi 7 mars


Position à minuit: 10°14’31 S – 121°39’58 W 2’034 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°17’25 S – 122°05’02 W
Soit 26 milles de parcouru

Objectif du quart…passer le point qui marque les derniers 1’000 milles restant!
Et ceci, dans une ambiance ….disons… tendue, sur une route plutôt chaotique et avec une météo instable!
Bonne chance!
En gros, je dois garder un certain cap, pas trop descendre au Sud, avec un vent variable en force et en direction en gardant le génois gonflé!
La mer est forte. Plus on avance à l’ouest, plus la houle, accentuée par le vent, est impressionnante. De jour, quand on regarde en arrière, on voit arriver cette masse ondulante d’eau, on ne voit qu’un mur de flotte qui propulse Viramundo et finit par passer sous les coques en écumant. Alors, à l’avant, on a l’impression de plonger….
Cette nuit, je ne vois rien de tout cela, mais je l’entends et je le sens…..cela remue beaucoup, et, en plus, cela donne de courts mouvements saccadés et balancés qui vous font balloter constamment.
Quant à pouvoir garder le cap, c’est toujours le problème du vent qui arrive trop de l’arrière et qui varie, le génois peine à rester efficace au cap correct si le vent baisse de quelques noeuds.
Tout cela sous un ciel couvert, opaque, ne laissant à peine deviner la présence de la Lune et occultant toutes les étoiles. Le baromètre reste bien bas.

Il suffit de ne pas se laisser entraîner dans sa chute, de garder le soleil en tête et de se cramponner!
…..il suffit de….y a qu’à…
C’est bien fragile tout ça!
Comme le mental dépend beaucoup…trop….de l’humeur de la météo!

Ce serait vraiment rigolo de pouvoir “être un drone” et regarder Viramundo et son équipage de haut!
De voir cette espèce de radeau à voiles se faire secouer, balloter, soulever sur cet océan pas si pacifique que son nom le laisse entendre…
De voir sa trajectoire sinueuse…puis voir rectifier sa route, gratter avec peine quelques degrés sur le bon cap, d’accélérer, de ralentir, d’hésiter, de progresser sur cet énorme plan d’eau…
De voir son modeste équipage chancelant, tanguant, titubant faire son possible au milieu des flots tout puissants!
….paroles, paroles, paroles…
En attendant le génois ne tient plus, il bat et fait un boucan terrible…merci le vent de t’endormir au lieu de m’aider!
Alors, je roule le génois …et on n’avance plus! ….disons un peu moins vite!
L’objectif sera difficile à atteindre à cette vitesse!
Et pourtant, à peine atteint….tout de même….dur, dur…la navigation!
Et le baromètre baisse…
Treizième nuit??????.
” C’est pas la meilleure nuit! Et pourtant, il finit toujours par faire jour.” …dixit le Captain.

Quatorzième nuit
Nuit du mercredi 7 mars au jeudi 8 mars


Position à minuit: 10°17’67 S – 124°25’24 W 2’199 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°23’19 S – 124°53’46 W
Soit 28 milles de parcouru

Le vent, le vent, le vent…..
Tout est une histoire de vent!
C’est lui qui nous mène en bateau….Il est le maître. Il choisit son chemin et il décide de sa force.
Et nous? Nous le cherchons notre maître, nous en avons besoin pour parcourir autant de milles avec un bateau à voiles. Grâce au vent, les moteurs se sont tus depuis bien longtemps!
Il est tellement maître à bord que nous ne parlons que de lui!
Que nous avons les yeux rivés sur l’anémomètre à longueur de jour et de nuit! Que ses valeurs sont notées au moins toutes les heures dans le livre de bord!
Il est surveillé à chaque instant.
Là, au milieu, de ce coin de la Terre, rien ne l’arrête…pas une seule montagne, pas même une petite île, aucune péninsule, rien!
Et il le sait! Alors, il en profite….il accélère ou il ralentit son souffle à l’envi.
Et, cette nuit, je le trouve horriblement tuant!
Sous son influence, l’océan pulse une houle impressionnante, mesurée jusqu’ à 2,80 mètres (prévision du routeur); ajoutées à cela, les vagues écumeuses et terriblement bruyantes accentuent la puissance de l’eau et soulèvent des masses de molécules….H2O….
Viramundo, là-dessus, c’est un intrus, un minuscule bouchon à voiles!
Certes, il se défend super bien, il négocie avec souplesse son surf sur la houle, il accuse les monstrueuses claques des vagues et il reçoit des kilos d’embruns….il avance sur un tapis plein d’énormes creux et de bosses!
Et sans aucun répit! Ben, nos oreilles absorbent le boucan, notre corps subit les mouvements de Viramundo jamais stable….fatigue, fatigue, fatigue!
Merci le vent!
C’est peut-être bien grâce à toi que l’on a retrouvé un ciel clair super beau, plein d’étoiles qui ont accueilli Madame la demie Lune à minuit et demie!
Mais, en ce moment, tu fais fort, Eole!
Avec tes pointes jusqu’à 26 noeuds….même que j’ai vu 27 sur l’écran…., tu me mets la pression, et tu nous secoues tant et plus…à peine le temps d’admirer sereinement les astres de la nuit. Quel dés…astre!
Magnifique, la Grande Ourse! Bien visible! Tout comme Jupiter, juste au-dessus de la Lune! Le reste, je ne connais pas, malheureusement…
Avec mon logiciel du ciel, j’essaie d’identifier quelques uns des “habitants” du ciel, mais je peine…cela bouge trop…les étoiles dansent dans mes yeux…ma tablette valse en l’air…
Merci le vent!

Quinzième nuit
Nuit du jeudi 8 mars au vendredi 9 mars


Position à minuit: 10°20’78 S – 127°22’01 2’375 milles au compteur
Position à 4 heures : non noté
Soit non noté milles de parcouru

À minuit, la Lune n’est pas encore apparue. Une légère clarté à l’Est laisse penser qu’elle ne va pas tarder. En attendant, nous fonçons sur un disque noir sombre toujours aussi remuant et sous une voûte farcie d’étoiles.
C’est beau!

Cela se dandine, cela mousse, cela secoue….allez… go…tiens le coup!
Réveille- toi!
Et il n’y pas que le sommeil qui commence à manquer!

Je rêve de croquer dans une bonne pêche bien sucrée et juteuse, ou déguster des fraises, même celles d’Espagne qui n’ont pas encore trop de goût, mais qui ont quand même l’aspect et la structure du fruit ou mieux encore….piquer deux ou trois framboises du jardin toute chaudes de soleil…..grignoter une pomme Gala juste acidulée et goûteuse…
C’est un vrai manque. Je rêve!
Pourtant, nous sommes partis des Galapagos avec tout plein de fruits…des bananes du coin, des oranges d’Isabela, des pamplemousses des iles, trois petits ananas de l’endroit, des pommes et des poires d’Equateur. Tous ces délices engrangés étaient prometteurs….ils occupaient le filet extérieur du cockpit, ou ils étaient entreposés sur un papier dans un coffre….ils ont été bien choisis et soignés….ces trésors…en suffisance pour tenir les semaines à venir!
Il est vrai que les agrumes avaient comme des petites surfaces noires sur leur pelure, des moisissures probablement, cela nous disait …qu’au moins ces fruits n’avaient pas subi de traitement….
Pourtant, seuls, les ananas ont pu être dévorés avant qu’ils ne montrent des signes de « gâté ». Délicieux! …..et c’est à peu près tout!
Pour les autres fruits…catastrophe!
Explications…
Les oranges…il est difficile d’en éplucher une sans avoir du noir, le moisi, bien collant plein les mains et d’en mettre aussi sur la partie à manger….pas très séduisant….ensuite, dans chaque cuisse, il faut enlever au moins trois ou quatre pépins, et, quand on croit arriver au bout de nos peines, dans la majorité des fruits, la pulpe est desséchée…que reste-t-il de l’orange? En plus, certaines avaient des parties brunes incomestibles!
Alors, quel bonheur de goûter aux seuls morceaux mangeables qui avaient un vrai bon goût d’orange!
Les pamplemousses, super fruit pour se désaltérer !
Eh bien….on en a retiré quelques bribes ….appréciées… après moult efforts de préparation….le problème, c’est que ces grapefruits avaient à boire et à manger…des gros vers dodus couleur ocre s’y étaient attaqué avant nous!
Beurk! A l’eau!
Ne soyons pas trop difficiles!
Les bananes achetées vertes ont mûri. Si leur aspect extérieur n’était pas comme celles de la Migros, l’intérieur avait un authentique goût de banane…que demander de plus? Elles ont même servi à faire un bon gâteau au rhum.
Reste les pommes…un fruit qui se garde …normalement…
Évidemment, c’est un fruit qui vient du continent, acheté sur une île, conservé au frigo et valant un demi dollar pièce , ce n’est pas une marchandise à haut débit, alors elle doit rester stockée sûrement quelques semaines avant d’être écoulée!
Les premières pommes ont été presque à la hauteur de nos envies…sans compter le goût de moisi ressenti lorsque l’on croquait la chair du fruit trop près du trognon… mais très vite, la plupart d’entre elles, sont devenues farineuses comme ce n’est pas permis ! A vous enlever l’envie d’y goûter!
Je suis injuste !
Les poires étaient bien croquantes, alors elles ont été rapidement mangées. Bonne chose, car elles se seraient vite gâtées !
A ce jour, plutôt à cette nuit, il ne reste plus que des pommes dans notre garde- manger!
Pour mes “deux heures”, je vais essayer d’en croquer une, et, à la lumière de ma lampe de poche, je vais bien regarder qu’il n’y ait …que de la pomme!!!

Seizième nuit
Nuit de vendredi 9 mars au samedi 10 mars


Position à minuit: 10°20’25 S – 130°04’99 W 2’537 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°20’71 S – 130°31’14 W
Soit 26 milles de parcouru

La tête pleine de bruits, la démarche chancelante et ensommeillée, je sors de ma couchette et, après avoir croisé le Captain, je cherche mes repères de la nuit depuis le cockpit. La Grande Ourse sur tribord, Jupiter sur l’arrière, pas encore de Lune, un ciel super étoilé, noir d’encre…tiens? Le Captain m’avait annoncé des nuages!
Bonne surprise!
Deuxième bonne surprise….le vent semble se stabiliser au-dessous des 22 noeuds, et on avance avec la GV seule. C’est moins tendu… et cela va peut-être calmer un peu cette mer!
Cela fait 16 jours que l’on a quitté les Galapagos!
Cela fait 16 jours que l’on ne voit que de la mer!
Cela fait 16 jours que l’on vit notre rythme de quarts!
Cela fait donc déjà un sacré bout de chemin …nous allons bien atterrir dans quelques jours, nous allons bien les trouver ces Marquises!
Et quand on regarde autour de nous, on a de la peine à y croire!
On pourrait être en Méditerranée, en Atlantique ou dans les Caraïbes…la mer est toujours la mer!
La mer avec ses ciels exceptionnels, la mer avec ses ambiances picturales…., la mer avec ses sautes d’humeur et ses couleurs infinies….
Mais qu’est-ce qui distingue donc le Pacifique?
Pas grand chose …finalement… si ce n’est… qu’il ne porte pas très bien son nom!
Bon, il est ÉNORME !
Cela est-il la cause de cette houle remarquable qu’il nous offre?
Remarquable et impressionnante ! Même si elle a moins de 3 mètres !
Cette pulsion incessante, ce mouvement continuel, accentué par les vagues et les crêtes brisantes montre tellement la toute puissance de l’élément!
Voir un mur d’eau derrière soi, c’est extraordinaire!
Et ce mur, il prend les couleurs du temps, du bleu marine intense au gris sombre en passant par le vert soutenu, toujours écumeux et brillant! Il faut vite le regarder ce rideau, difficile à photographier, car il est mouvant et il s’abaisse jusqu’à filer sous nos coques. Alors, Viramundo semble piquer du nez, et plonger…on redescend de la colline…..puis il parvient à suivre souplement le mouvement de l’onde et il recommence à l’arrivée de la prochaine vague de houle!
La vitesse de cette course, de ce surf varie encore avec la poussée du vent…et quand celui-ci est bien fort, on est à l’affût d’un dix ou onze noeuds de vitesse….ce qui n’arrive que de temps en temps!
On s’y habitue, mais, au début, cela fait drôle de se voir poursuivi et dépassé par autant de flotte!
Il faut avoir une bonne dose de confiance dans les réactions de son bateau et de son pilote!
La nuit, on dirait qu’un géant secoue une large couverture et repousse toutes les miettes qui s’y trouvent…. Eh, eh, nous ne sommes qu’une grosse miette…. à l’échelle du Pacifique!
Outre les mouvements continuels de Viramundo secoué par le “géant” , il y a surtout le bruit fracassant et… soûlant de l’eau qui nous fait comprendre que “le géant” ne dort pas…même quand nous, nous essayons de dormir envahis de tous ces sons et secoués comme des sacs!
Cela fait un raffut assourdissant depuis la cabine comme si on passait dans un tunnel de lavage….comme si l’on passait les coques au karcher ….Parfois même, selon le trémolo de la vague qui s’enfile dessous, cela fait un tremblement et un roulement sourd comme une rafale de coups de canon …bizarre!
Tout cela seulement pour secouer une miette!
Cela va être encore plus bizarre quand tous ces bruits et ces sensations vont s’arrêter….aux Marquises…
Troisième bonne surprise….avec un croissant de Lune, ma pomme était incroyablement délicieuse, cette nuit!!!

Dix-septième nuit
Nuit du samedi 10 mars au dimanche 11 mars


Position à minuit: 10°29’17 S – 132°37’37 W 2’690 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°27’15 S – 133°05’21 W
Soit 27 milles de parcouru

“Veiller aux grains.”
C’est l’expression de circonstance cette nuit!
Sous ce ciel étoilé, on dirait que tout est beau, tout est calme…..rien de tout cela! Même pas le temps de rêver et d’apprécier le moment!
Des nuages sournois, d’abord cotonneux, apparemment inoffensifs, se transforment rapidement en une masse plus menaçante. Dans la nuit, ce n’est pas toujours facile de prévenir ce changement qui opère rapidement….alors, merci le radar!
Et sur son écran, un gros pâté orange avance lentement à l’arrière, juste sur babord, il avance, il avance…surveillons l’anémomètre….légèrement en hausse…ouaps!
Je roule le génois, pour ce faire, je cours d’un côté et de l’autre du cockpit…
Je retourne au radar….youpie, le grain file en avant sur la gauche…sauvés!
Je déroule le génois …cela repart…presque! Le génois fait des caprices et ne se laisse pas régler …..justement, le Captain se lève…quelle aubaine!
Son conseil est profitable…merci et retourne vite dodo Captain!
Je continue de veiller aux grains.
À force de brancher le radar et d’allumer le spot pour regarder ce que fait le génois, il va manquer sacrément d’énergie dans les batteries!
Voilà encore des mots qui ont tout leur sens….
Notre radar personnel, lui, est branché 24/24 heures! Sans cesse en alerte, a tour de rôle avec le Captain pendant nos quarts, nos sens sont en éveil à 100 pour 100!
Alors, dans quel état sont nos batteries???
Disons que la charge est en baisse…
Outre le manque de sommeil et le stress, notre corps accuse quelque peu les conditions sportives du bord.
Où est notre groupe électrogène à nous?
Comme on n’a plus la connexion avec la Terre, plus la possibilité de se ressourcer au contact du sol et de s’y “ancrer”…c’est le comble avec la super ancre que l’on a à bord!…pour y puiser la force, le niveau de charge de nos batteries a diminué. C’est un vrai manque, on reste des terriens!
Et on n’est plus branché ….
On joue aux marins, et on puise dans nos ressources ….qui ont leurs limites.
Pas de Terre! Que l’Océan et le ciel!
Enfin, Madame la Lune se pointe. Il n’en reste plus qu’un croissant …juste assez pour distribuer de la lumière et de l’ENERGIE …même voilée.
Se connecter à l’environnement, respirer et absorber cette force!
Et, surtout…. veiller aux grains!
Il pleut au clair de Lune!

Dix-huitième nuit
Nuit du dimanche 11 mars au lundi 12 mars


Position à minuit: 10°28’66 S – 135°21’20 W 2’854 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°33’45 S – 135°46’56 W
Soit 26 milles de parcouru

Superbe journée, hier! Conditions parfaites, beau temps, mer assez confortable, vent portant idéal pour le gennaker et une vitesse de 7-8 noeuds.
Alors, pourquoi cette nuit cela se complique???
Retour aux grains…..et j’ai envie de calme!
A quelques 200 milles du but! Il faut y croire!
On avance dans une nuit bien noire avec encore beaucoup de vent … même après le passage de cette série de grains!
Ouf!!! Les étoiles reviennent assez vite. Cela fait du bien…
Avant-dernière nuit de mer ???
Sûre de rien, prête à tout! Une ou deux ou trois de plus….on n’est plus à cela près!
Ce qui est certain, c’est que les jours et les nuits défilent …donc, nous nous rapprochons de plus en plus de nos petits chouchouxx!!!
Même s’ils ne m’ont pas quittée une minute à travers cette incroyable expérience, cela va faire un bien inouï que de les serrer dans mes bras!
Un vrai manque !
Pendant mes nuits de mer, leurs petites bouilles me sourient, j’imagine leurs questions et leurs remarques s’ils nous voyaient sur notre océan!
Pourquoi? Comment? Où? Tu fais quoi, Mamy? Tu fais quoi, Papy?

J’aimerais pouvoir leur montrer ce magnifique ciel étoilé, ces planètes qui brillent intensément la nuit, ces constellations qui portent des noms rigolos, cette Lune qui ne cesse de croître ou décroître. Ils seraient bien intéressés et imagineraient des tas d’histoires….
J’aimerais pouvoir leur faire sentir ces mouvements incessants de Viramundo.
Ils s’amuseraient à se laisser tomber, à se balancer ou à se rouler dans le tatami…même de nuit!?!
J’aimerais leur expliquer les instruments de navigation. Ils apprécieraient de jouer avec tous ces boutons et ces écrans.
J’aimerais pouvoir leur montrer une nuit de mer. Ils seraient heureux de rester éveillés si longtemps….
Bon, juste un PETIT moment de nuit, juste pour le fun….il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps…trop secouant, trop d’inconfort!
Dans trois semaines, je les verrai dans un tout autre décor, plus habituel!
Alors, avec les plus grands, nous aurons des tas de choses à nous raconter …et, avec les plus petits, nous aurons à nous réapprivoiser !
Beaucoup de temps à rattraper!
Je serai super heureuse de les retrouver!

En attendant, sur la carte, les Marquises sont à portée d’œil….
En vrai, l’ambiance semble pareille aux dix-septièmes autres nuits. Pourtant avec tellement de nuances que chaque quart de nuit est ressenti et vécu différemment! Chaque quart est riche de ses particularités et de ses difficultés.
Finalement, j’aime beaucoup les quarts de nuit….
Je leur dirai aux tits loulous!

Dix-neuvième nuit
Nuit du lundi 12 mars au mardi 13 mars


Position à minuit: 10°36’03 S – 137°45’08 W 2’994 milles au compteur
Position à 4 heures: 10°43’60 S – 138°11’05 W
Soit 28 milles de parcouru…..de mer…qui tombe à l’eau…le cap a été 0

C’est la fête!
Le feu d’artifice! Le bouquet!
On n’en demandait pas tant pour notre dernière nuit!
Ça a commencé à l’heure de mon repos de 20 heures….des grains volumineux se sont formés, pluie, vent jusqu’ à 35 noeuds, situation tendue pendant plus de trois quarts d’heure. Le Captain aux écrans prêt à parer à l’empannage. Moi, impuissante, angoissée, écoutant les bruits d’eau, de vent…..enfermés dans notre bulle et nous félicitant d’avoir pris le deuxième ris dans la GV. Le calme est plus ou moins revenu, je suis allée me reposer.
Comment s’endormir après la tension de ces dernières minutes?…….donc pas vraiment pu fermer l’œil!
À minuit, la situation est redevenue tranquille….dixit le Captain. Il y a des étoiles!
Tu parles!!!
À peine, installée dans mon quart, le vent monte. Au radar, un magnifique grain suit notre route sur tribord, même stress qu’à 20 heures.
Le grain, puis les grains se succèdent, évoluent, s’étalent, se forment et changent de formes, de couleurs sur l’écran du radar, mais on est pris dedans, on n’arrive pas à s’en dépêtrer. La pluie tombe dans cette nuit glauque et le cap est catastrophique.
Les Marquises sont inabordables pour le moment!
Le Captain vient me soutenir….dans la couchette, les bruits d’eau et de vent sont forts…cela résonne sur la coque. Pauvre Captain, on te sabote ton sommeil!
Le vent monte jusqu’ à 33 noeuds dans les rafales et reste trop facilement entre 26 et 30 noeuds! Viramundo se fait pousser, tirer, fracasser dans les vagues…je n’imagine pas l’état de la mer!!!
Dehors, la nuit est noire opaque, il pleut, on y voit rien de chez rien, ça mousse dans les sillages….
Je savais qu’on avait plus droit au soutien de Madame la Lune, mais de là à nous enlever toutes les étoiles….c’est fort!
Un vrai temps de cochon qui dure!
A 4 heures, le Captain est déjà de retour….nous empannons la GV pour ne pas louper les Marquises qui sont à une trentaine de milles. Et, cette fois, sur tribord amure, nous allons droit sur le Sud de Fatu Hiva, la première des Marquises où il y a le fameux mouillage de la baie des Vierges.
La pluie, le vent et les averses, le noir, les nuages, la mer forte…..
On avait rêvé beaucoup mieux pour cette approche des îles!
Pas vu passer ce quart de nuit ….détestable, tuant et bien sûr …. inoubliable!

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